Décryptage de l'avis de l'ADEME sur la publicité

L'avis de l'ADEME sur la publicité, publié le 27 novembre 2025, se concentre sur les deux enjeux clés sur le sujet : celui de la publicité pour des produits polluants et celui de la lutte contre le greenwashing et l'incitation à la surconsommation.

Sur chacun de ces enjeux, il pose un diagnostic technique et règlementaire puis formule une série de préconisations, qui incluent l'inscription des contrats climat dans le droit dur, la mise en place d'une taxe « pollueur-payeur » pour les annonceurs dans 5 secteurs sensibles afin de financer des campagnes de sensibilisation ou encore l'approfondissement des outils réglementaires pour lutter contre l'incitation à la surconsommation. Décryptage.

Les « avis » de l' ADEME - Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, une agence publique sous tutelle du Ministère de la transition écologique évoquée ci-dessous par « l'Agence » - présentent toujours l'intérêt d'aller à l'essentiel, et celui-ci, le premier du genre sur la publicité, ne fait pas exception.

Dans le détail, l'ambition de certaines préconisations pourra être discuté - retrouvez ici la synthèse des positions de CODE sur le sujet (lien externe) - mais l'exercice de priorisation des enjeux qu'a réalisé l'agence de l'environnement présente déjà un intérêt majeur.

Elle se penche ainsi d'une part sur la question des volumes publicitaires, notamment concernant les produits sensibles pour l'environnement, et d'autre part sur celle de la régulation des contenus, à travers la lutte contre le greenwashing (écoblanchiment) évidemment, mais aussi à travers celle contre l'incitation à la surconsommation, un sujet jusqu'à présent largement ignoré par les pouvoirs publics.

Les grands titres qui structurent la demi-douzaine de préconisations que formule l'ADEME dégagent une vision claire des orientations soutenues par l'Agence : « Accroître la proposition de messages publicitaires en faveur de la transition écologique » et « Renforcer la lutte contre les allégations environnementales trompeuses et contre les incitations à la surconsommation et au gaspillage ».

Sur les volumes : trop de publicités pour une consommation insoutenable

Après avoir rappelé le poids croissant de la consommation des ménages à travers les décennies, l'ADEME signale les excès de la publicité à trois niveaux - le nombre de messages diffusés, le ressenti de la population et l'asymétrie avec les messages de sensibilisation. Puis elle tranche : si la publicité permet effectivement à des consommateurs ayant exprimé un besoin, de trancher leurs préférences entre différentes marques, « elle contribue également à l'augmentation globale de la consommation. En effet, les communications commerciales suscitent le désir d'acheter, encouragent la consommation de produits qui, parfois, ne répondent pas à des besoins identifiés ou qui accélèrent le désir de renouvellement des produits ».

Communication et démocratie se félicite que ses travaux passés, réalisés conjointement avec l'Institut Veblen, aient contribué à asseoir cette analyse du rôle de la publicité sur la consommation, qui est largement documentée sur le plan scientifique et désormais aussi consensuelle au sein des pouvoirs publics.1

Dans l'exercice de restitution du (maigre) cadre réglementaire existant pour « mettre davantage la publicité au service de la transition écologique », l'Agence  :

  • souligne que le dispositif de score environnemental des produits - en cours de construction - porte à ce jour sur un « très faible nombre de catégories de produits et n'a pas de caractère obligatoire »
  • évoque l'échec des « contrats climats » qui devaient réduire le volume de publicité pour les produits à fort impact environnemental, mais dont moins de 1/5 des entreprises assujetties y ont souscrit et avec des engagements « trop peu ambitieux »
  • rappelle enfin que les interdictions de publicité pour les énergies fossiles et les véhicules thermiques à partir de 2028 n'ont jamais été traduites en décret d'application.

1.  Sur le sujet, l'avis sur la publicité du Conseil économique, social et environnemental de juillet 2023 et le rapport interministériel sur la régulation de la publicité de septembre 2025 indiquent également que la publicité augmente la consommation globale des produits.

Préconisation : d’abord de la transparence

Les préconisations de l' ADEME pour « accroître la proposition de messages publicitaires en faveur de la transition écologique » renvoie vers 4 dispositifs ; deux d'entre eux s'appuient sur une logique de transparence. Le premier concerne l'information du consommateur et démarre par un appel préliminaire bienvenu à ce « qu'un maximum de produits et services disposent d'une information environnementale » qui serait rendue obligatoire dans les publicités (ce qui n'est toujours pas le cas du logo nutritionnel Nutri-Score...).1

Le second dispositif de transparence porte sur les dépenses de communication commerciale : celles des grands annonceurs - supérieures à 1 million d'euros - seraient déclarées à l' Etat qui rendrait ensuite publiques, un an après, les dépenses annuelles du top 100 des annonceurs ainsi que les dépenses globales (tous annonceurs confondus) pour une série de produits sensibles. Communication et démocratie accueille favorablement cette mesure qui rejoint ses propres recommandations.

2. L'ADEME envisage ensuite le court terme par le seul approfondissement des démarches volontaires de certaines régies médias qui favorisent la différenciation de tels produits.

Préconisation : des contrats climats dans le droit dur

Le troisième dispositif recommande une évolution significative des contrats-climat. L'Agence recommande tout d'abord de s'appuyer sur les scores environnementaux existants pour identifier les produits devant être l'objet de trajectoires de réduction de la promotion publicitaire. En creux, cela signifie ne plus confier aveuglément aux industriels le soin de choisir ces produits et, par exemple, de pouvoir positionner les SUV hybrides non comme des produits à fort impact dont la promotion devrait réduire, mais comme des produits « verts » qui devraient au contraire la voir augmenter...

L'Agence inclut aussi la possibilité d'opter pour des interdictions plutôt que de simples réductions, appelle à un élargissement des secteurs assujettis et à l'introduction de sanctions (augmentées) pour le non-respect des engagements (et plus uniquement en cas de non déclaration sur la plateforme).

Ces réformes conduiraient à insérer les contrats-climat dans le droit dur avec la définition des objectifs par les pouvoirs publics et des mécanismes de contrainte pour les annonceurs qui ne coopéreraient pas. Communication et démocratie pourrait y voir une perspective intéressante si le risque de voir des logiques d'interdiction (nécessaire sur certains produits néfastes), remplacées par des logiques de réduction (pertinentes sur un nombre limité de produits sensibles) n'était pas si élevé. Par ailleurs, le mécanisme envisagé pour le contrôle de la conformité des actions mises en œuvre par les entreprises, dans le cadre de leur « nouveau contrat climat », devrait être clarifié.3

3.  Cette mission de contrôle, jusqu'à présent formellement confiée à l' ARCOM et soutenue par le Ministère de l'environnement, prendrait alors en effet une envergure et une technicité nouvelle

Préconisation : une taxe pollueur-payeur pour financer la sensibilisation

Le dernier dispositif vise à « rééquilibrer certaines représentations véhiculées par la publicité », notamment dans 5 secteurs sensibles - les transports, les voyages, la mode, l'électronique et l'électroménager - à travers la diffusion de plusieurs campagnes annuelles d'envergure en faveur des mobilités douces, du tourisme local, de la mode plus responsable, de la réparation et du réemploi des appareils électronique et ménagers.4 Pour financer le dispositif, l'ADEME recommande que les annonceurs, dans chacun de ces secteurs, consacrent chaque année un pourcentage du montant total de leurs dépenses publicitaires à ces campagnes de sensibilisation, dans le cadre d'une gouvernance partagée avec les pouvoirs publics.

Le principe d'un prélèvement sur les dépenses des annonceurs pour financer des campagnes de sensibilisation avait déjà été soutenu au niveau institutionnel5, mais c'est la première fois que la perspective s'inscrit explicitement dans une démarche sectorielle de « pollueur-payeur », a fortiori avec l'identification des secteurs visés et des montants concernés.

Cette proposition a le mérite de rendre réaliste une augmentation significative des volumes de campagne de sensibilisation pour des alternatives dans ces secteurs. Mais il faut souligner que cette approche « pollueur-payeur » s'inscrit aussi comme une alternative - de fait un obstacle - aux éventuelles politiques d'interdiction de publicités pour certains produits particulièrement néfastes, que Communication et démocratie appelle de ses vœux (et que l'ADEME n'écarte pas dans le cadre de ses propositions de réformes des contrats climats...).

4. L'agence ajoute qu'une alimentation plus saine et moins polluante pourrait bénéficier de ce dispositif.

5. Par le Conseil économique, social et environnemental dans son avis de juillet 2023, et même par le rapport commandé par le Ministère de l'environnement à Géraud Guibert et Thierry Libaert, publié en juin 2021.

Sur les contenus : l’autorégulation inadaptée et des pouvoirs publics démunis

Sans surprise, le diagnostic concernant les enjeux des contenus publicitaires, et notamment des outils de régulation, démarre et se concentre sur celle de la lutte contre le greenwashing. Comment faire autrement alors que la question de l'incitation à la surconsommation a jusqu'à présent été largement ignorée et qu'il n'existe presque aucun outil de régulation sur le sujet. Soulignons que l'ADEME a néanmoins décidé de consacrer spécifiquement à ce sujet sa dernière préconisation.

« Une proportion non négligeable [des allégations environnementales] sont trompeuses ». Le rappel est particulièrement précieux lorsqu'il émane de l'agence de l'environnement qui produit avec l'organe d'autorégulation des contenus - l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité ou ARPP - le rapport annuel « Publicité et environnement ».

Les limites de l'ARPP sont exposées de manière concise : elle est « juge et partie », son contrôle obligatoire avant diffusion est trop limité (à la diffusion télévisée et audiovisuelle) et celui après diffusion, dépourvu de sanction, est non contraignant. Et la gouvernance manque de paritarisme alors que « plus aucune ONG environnementale ne siège depuis 2020 [dans l'organe de dialogue avec les parties prenantes]».

Les limites du cadre réglementaire pour lutter contre le greeenwashing sont exposées de manière plus détaillée. On retiendra surtout que l'outil central des pratiques commerciales trompeuses (PCT) constitue un recours à l'efficacité aujourd'hui limitée, qu'il s'agisse de son utilisation par Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF)6 ou bien des saisines de la justice par les associations de consommateurs ou de défense de l'environnement pour lesquelles l'avis souligne la difficulté à obtenir des condamnations.

La récente condamnation au civil du géant pétrolier Total Energies pour ses allégations relatives à la neutralité carbone ne semble pas devoir modifier substantiellement ce diagnostic : « le cadre juridique actuel ne semble pas toujours adapté pour permettre aux autorités et juridictions de qualifier aisément au titre des PCT des engagements environnementaux formulés par des entreprises ».

6.  La DGCCRF dispose de pouvoirs très limités pour appliquer des sanctions en cas de tromperie, puisqu'elle dépend de la justice pour donner des suites pénales et appliquer les sanctions financières significatives qu'elles permettent. Elle peut privilégier les « transactions pénales » qui limitent dès lors l'importance des sanctions (et nécessite aussi l'autorisation du parquet). A noter qu'au-delà de l'outil de la tromperie, certaines allégations spécifiques comme « neutre en carbone » sont appréhendées par le Ministère de l'environnement qui peut seulement dresser des amendes administratives d'un montant maximum de 100 000€.

Préconisation : une nouvelle répartition du travail entre l’ARPP et la DGCCRF

A travers ses deux premières préconisations pour renforcer la régulation des contenus, l' ADEME laisse entrevoir une nouvelle répartition des tâches entre les pouvoirs publics et le secteur privé : à l'autorégulation le contrôle avant diffusion, aux pouvoirs publics et notamment la DGCCRF celui après diffusion.

La proposition se veut crédible : l'ARPP élargirait son contrôle avant diffusion à l'ensemble des canaux et supports publicitaires pour ce qui concerne les campagnes de grande ampleur (« seuil à déterminer ») - contrôle donnant lieu à un avis contraignant, et les pouvoirs publics se verraient renforcés dans leur moyens humains et leurs pouvoirs7 pour assurer efficacement une sorte de filet de sécurité à travers le contrôle après diffusion.

La pragmatisme de cette préconisation dans laquelle les pouvoirs publics renforcent leur implication mérite discussion, quand bien même notre association défend la mise en place d'un dispositif complet de régulation des contenus par les pouvoirs publics, y compris pour le contrôle avant diffusion.

7.  On imagine, compte-tenu du diagnostic posé précédemment, que la DGCCRF disposerait de ce fait d'une certaine autonomie dans l'application de sanction financières significatives.

Préconisation : affronter la question de l’incitation à la surconsommation

Cette dernière préconisation de l'avis de l' ADEME ne fait que quelques lignes, et pourtant elle est particulièrement importante : il s'agit d'aborder l'enjeu délicat de la distinction entre la simple promotion des produits, légitime, et l'incitation au gaspillage et à la surconsommation, abusive. L'ADEME est la première institution à le faire.

L'Agence rappelle les limites évidentes de l' unique article censé aborder le sujet, inscrit dans le code de l'environnement (introduit par la loi pour l'économie circulaire) et appelle à le reformuler, y compris en travaillant la définition juridique de la « surconsommation » : un chantier dont nous ne pouvons que soutenir l'engagement.

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