Madame la Première Ministre,
Le gouvernement définira prochainement sa Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat (SNANC), qui orientera la politique alimentaire de la France à horizon 2030. Les enjeux sont immenses : notre alimentation joue un rôle majeur dans le changement climatique, l’effondrement de la biodiversité et l’explosion des maladies chroniques non transmissibles (maladies cardiovasculaires, diabète, obésité, cancers, etc.). Ces pathologies frappent en premier lieu les personnes les plus précaires, tandis qu’on estime qu’au moins 8 millions de personnes sont aujourd’hui en situation d’insécurité alimentaire en France.
Les causes de ces problèmes sont connues : intensification des systèmes agricoles et d’élevage, multiplication de l’offre d’aliments ultra-transformés et de produits trop gras, trop sucrés et trop salés, omniprésence de la publicité et du marketing pour des produits de mauvaise qualité nutritionnelle et pour la viande industrielle, exposition aux perturbateurs endocriniens, difficultés d’accès aux fruits et légumes frais et plus largement aux produits biologiques, locaux et de saison… Pourtant, malgré ces facteurs systémiques, les politiques publiques continuent de reposer sur les “engagements volontaires” des entreprises du secteur alimentaire et sur le mythe du “consommateur responsable” qui aurait, à lui seul, le pouvoir de faire évoluer en profondeur les pratiques des géants de la grande distribution et de l’agroalimentaire.
Dans ce contexte, nous, sociétés savantes, associations de consommateurs, de familles, de jeunes, de patients et de tous les usagers du système de santé, de paysans, de professionnels de la santé et du médico-social, de solidarité, de protection de l’environnement et du bien-être animal, et acteurs de l’économie sociale et solidaire, exhortons le gouvernement à tirer les enseignements de l’échec des politiques passées. Pour ne pas être une nouvelle occasion manquée, la Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat doit appliquer les recommandations convergentes émises par de multiples instances indépendantes (ANSES, Conseil national de l’alimentation, Cour des comptes, France Stratégie, Santé publique France, etc.) et intégrer les demandes de la société civile.
Cette Stratégie doit en premier lieu énoncer clairement des objectifs ambitieux et précis pour la transition de notre alimentation, concernant :
- La hausse de la consommation de fruits et légumes frais, de légumineuses, de céréales complètes et de fruits à coque.
- La hausse de la consommation de produits issus de l’agroécologie, en particulier de produits biologiques et de saison, cultivés et produits en France.
- La baisse de la consommation de produits trop gras, trop sucrés et trop salés, ainsi que celle de produits ultra-transformés.
- La baisse de la consommation globale de viande (volaille incluse) et de produits laitiers.
Pour atteindre ces objectifs, il est indispensable que la Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat planifie des politiques structurelles tout au long de la chaîne de valeur alimentaire, de la production agricole et agroalimentaire à la consommation en passant par la distribution et la restauration hors-domicile. Elle doit en particulier :
- Faire de l’accès de toutes et tous à une alimentation saine et durable une priorité et mettre en place des mesures concrètes pour atteindre cet objectif, notamment en donnant le pouvoir d’agir aux populations les plus précaires socialement.
- Renforcer le soutien économique au secteur de la restauration collective ainsi qu’aux agriculteurs et agricultrices pour les accompagner dans la transition.
- Programmer des mesures contraignantes pour améliorer l’offre et l’environnement alimentaires, incluant en priorité l’interdiction de la publicité pour les produits nocifs pour la santé et pour la planète, l’obligation du Nutri-score, l’encadrement des marges de la grande distribution et la mise en place d’un véritable étiquetage environnemental indiquant également le mode d’élevage.
- Augmenter les moyens dédiés à l’éducation (en milieu scolaire en particulier), à la formation des professionnels de santé et à la sensibilisation de l’ensemble de la population à l’alimentation saine et durable.
La nécessaire transition vers une alimentation durable ne pourra se faire sans mobiliser et accompagner tous les citoyens et citoyennes et l’ensemble des acteurs agricoles, de l’agroalimentaire et de la distribution alimentaire. Nous appelons donc le gouvernement à résister à la pression de certains lobbies agricoles et agroalimentaires et à suivre les recommandations partagées par les scientifiques et la société civile pour que la Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat soit à la hauteur des enjeux écologiques, de justice sociale et de santé publique, dans l’intérêt des citoyens et citoyennes et des générations futures.