Rapport du GIEC : d’une publication sur les réseaux sociaux à une campagne d’affichage

Crédit photo : Pour un réveil écologique

Cet été, le dernier rapport du GIEC était placardé dans les couloirs du métro parisien ainsi que les gares de France.

Aux côtés des Shein, Deliveroo, Transavia ou Gorillas, la publicité pour le dernier rapport du GIEC1, cet été, avait drôle d'allure.

Au premier abord, pourtant, l'affiche rentre dans les codes de la publicité. Un burger, un sac de livraison à emporter, un QR code, une mise en forme du texte dans l'air du temps... Mais aussi, accompagnant l'accroche et le call-to action (appel à action), un paragraphe de 5 lignes. Un procédé peu usuel, voire un faux pas inconcevable dans la pub (une affiche doit se lire et se comprendre en moins de 7 secondes, il faut donc un seul message et un nombre de mots minimal) !

A y regarder de plus près encore, le sandwich forme la planète Terre. Cette fois, on revient aux basiques, la terre et l'écologie c'est bon (indispensable) pour vendre un produit. A côté du sandwich, le mot « burger » est barré et remplacé par « rapport du GIEC ». S'agit-il d'une publicité pour un repas à emporter« conforme au rapport GIEC » ? Ça serait sacrément précurseur (et ridicule) ! Mais non, pas de produit plus écologique que la nature à vendre, cette affiche fait la promotion...du rapport du GIEC. Plus précisément, après avoir exposé rapidement ce qu'est le GIEC et créé le besoin de s'informer (!) avec un petit teasing, elle invite à télécharger une synthèse réalisée par le collectif Pour un réveil écologique.

1. Depuis sa création en 1988, le GIEC réalise tous les 5 ans à 7 ans un état des lieux des connaissances relatives au changement climatique, sous la forme de rapports d'évaluation : un rapport long (2 913p), un rapport technique (145p), et un résumé (64p) à l'attention des décideurs politiques. Le 3e et dernier volet du cycle 6, publié en avril 2022, s'intitule « Changement climatique 2022 : atténuation du changement climatique sur l'évolution du climat ». Lien de téléchargement : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg3/

Une couverture insuffisante des médias, pourtant levier essentiel pour le GIEC

Revenons à ce fameux rapport du GIEC, objet de cette campagne publicitaire.

Les rapports du GIEC ne sont indubitablement pas digestes pour le « grand public » (rédigés en anglais, dans un langage technique, et d'une longueur moyenne de 3 000 pages !). Pourtant, au-delà d'un outil (qui devrait être) au cœur des négociations internationales sur le climat, ces travaux apportent des connaissances fondamentales pour alerter certes les décideurs politiques (quelle que soit l'échelle) mais également tous les acteurs de la société : médias, entreprises et bien sûr citoyennes et citoyens. Ainsi la vulgarisation de ces rapports et leur visibilité sont indispensables et nécessaires afin que tout individu sur notre planète soit informé correctement sur la crise climatique qui nous concerne toutes et tous.

Dans les conférences de rédaction des journaux télévisés français, les rapports du GIEC se sont ainsi battus avec : l'arrivée de Lionel Messi au club du Paris-Saint-Germain (no comment), la guerre en Ukraine (on ne pourra pas le reprocher, bien qu'il y aurait eu là une opportunité de transition), les élections présidentielles (là, difficile d'accepter que les médias ne se saisissent pas de ce sujet pour interpeller les candidats, le 2e volet étant sorti depuis un petit moment et le 3e tout juste publié), ou le gel (tiens, encore une autre occasion manquée !). Bref, comme le déplore un article du média Vert2, « ce qui aurait dû être bombe médiatique n'a même pas eu l'effet d'un pétard mouillé ». Ça en serait presque drôle si ce n'était pas un sujet sérieux, puisque le 3e volet pointe justement le rôle central des médias dans l'appropriation politique et citoyenne du changement climatique.

On lit ainsi dans le rapport que « [les médias] cadrent et transmettent les informations sur le changement climatique. Ils ont un rôle crucial dans la perception qu'en a le public, sa compréhension et sa volonté d'agir ». Plus problématique, le rapport établit que « La norme journalistique de « l'objectivité » (donner un poids égal aux scientifiques du climat et à leurs contradicteurs) biaise la couverture en amplifiant certains messages qui ne sont pas compatibles avec la science, contribuant ainsi à politiser la science, à répandre la désinformation et à réduire le consensus public à agir »3.

Cette campagne, en touchant 5 millions de voyageurs quotidiens du métro parisiens et certainement au moins autant de voyageurs dans les gares SNCF, permet de compenser ce manque de considération par les médias. Comble de l'ironie, ils se sont intéressés à l'opération en elle-même, faisant peut-être du rapport du GIEC un sujet tellement mainstream qu'il pourrait détrôner la neutralité carbone dans les prochaines campagnes de pub ! Ce qui est sûr, c'est que cette opération aura permis de mieux faire connaître le GIEC et le rapport, sensibiliser à la lutte contre le dérèglement climatique.

2 Article« L'inquiétant traitement médiatique de la sortie du rapport du Giec », publié dans le média Vert le 02/03/2022

3. Traductions issues du même article

D’une publication sur les réseaux sociaux à une campagne d’affichage : premiers ingrédients

Comme vous l'aurez noté, Pour un réveil écologique « n'est qu'un collectif ». Né en 2018, il rassemble plus de 33 000 d'étudiants et jeunes diplômés de différentes formations autour des enjeux écologiques. Un tel collectif, vous vous en doutez, n'a pas les moyens de se payer une campagne d'affichage d'un coût avoisinant les 70k € (coût estimé pour la campagne dans le métro parisien).

C'est là que cela devient intéressant.

En avril, le collectif publiait sur les réseaux sociaux une synthèse des dix grands points clefs du dernier rapport du GIEC. Expliquant le trop faible écho médiatique au regard des enjeux, le collectif incitait à relayer au maximum leur synthèse, et incitait les entreprises à l'imprimer sur leurs produits (comme par exemple au dos des boites de céréales). Une des publications, lancée telle une bouteille à la mer, a fait mouche et a permis la mise en place d'une campagne d'affichage massive. Les premiers ingrédients qui ont permis de transformer cette publication en campagne d'affichage sont finalement assez simples :

  • un montage photo d'une affiche fictive (le numéro 0 de l'affiche que l'on a pu voir ensuite)

  • une interpellation de Média transport, la régie publicitaire de la RATP

  • un appel à mobilisation de la communauté pour appeler en masse la régie à réagir

La suite, vous la connaissez certainement : devenue virale (plus de 30 500likes sur Linkedin), la proposition a été entendue par la régie, qui a contacté le collectif afin de concrétiser l'idée et financer intégralement la campagne. Résultat : l'affiche (retravaillée pour l'occasion) a été placardée dans 108 stations durant une semaine et 550 gares SNCF partout en France. Fin août, le collectif comptabilisait plus de 40 000 scans du QR code.

Une politique RSE adéquate : le 4e ingrédient nécessaire

Pour comprendre le 4e et dernier ingrédient de la recette, il faut aller regarder du côté de la régie média et du rôle qu'elle a souhaité jouer.

Il est bien sûr louable que Médiatransport ait répondu favorablement à l'appel du collectif. Tout le monde en conviendra, cette initiative montre une volonté de jouer un rôle dans les défis que posent les enjeux climatiques et écologiques. C'est également une manière de répondre à sa politique de Responsabilité Sociétale de l'Entreprise (RSE).

Dans le cadre de sa stratégie RSE, le groupement4, qui a pour signature « Pour une publicité utile », dit réduire son empreinte environnementale avec un objectif de diminution de l'empreinte carbone de ses activités (tout en poursuivant un objectif de croissance), et « garantir une publicité responsable ». Pour cela, la régie calcule l'impact carbone des dispositifs et propose, aux annonceurs qui le souhaitent d'imprimer sur papier recyclé ou de reverser l'équivalent de 1% du montant de leur campagne à l'association de leur choix (la publicité sera donc responsable si l'annonceur le veut). Côté contenus, la régie apporte « une vigilance particulière aux visuels publicitaires » mais comme elle l'a rappelé dans l'affaire Alliance-Vita, n'exerce « ni censure ni jugement ». Ainsi, au nom des principes de liberté de l'expression, la régie média estime que « tout annonceur doit avoir la capacité de communiquer, défendre sa vision et/ou prendre position sur des sujets de société ». Pas de regard, donc, sur le contenu et la finalité propre du message... Il est ainsi « nécessaire de se conformer au principe de neutralité, en évitant toute forme de militantisme dans le contenu des communications ».

Ce n'est donc pas dans ce cadre-là que s'inscrit l'action avec Pour un réveil Écologique mais dans l'axe « Mettre l'innovation et la puissance du média au service d'initiatives associatives ou durables », soit soutenir des initiatives qu'elle considère comme porteuses de sens au regard de ses activités. Exit le principe de neutralité. Sont les heureux gagnants : la protection de l'environnement, le respect de la personne et la lutte contre l'exclusion sous toutes ses formes. C'est par ce tour de magie que des structures telles que Le Secours populaire, la Fondation Abbé Pierre, ou encore la Fondation des Femmes se retrouvent parfois au milieu de publicités appelant à consommer des produits ou services tous plus inutiles les uns que les autres, et pour certains néfastes pour l'environnement ou notre santé.

Ainsi, sachez que si vous souhaitez vous aussi tenter le coup en interpellant la régie, un 4e ingrédient vous sera vital pour voir votre campagne diffusée gratuitement : rentrer dans les cases de sa feuille de route RSE. Foodwatch, Éthique sur l'étiquette ou Générations futures, vos initiatives ne sont pas porteuses de sens au regard des activités de la régie, vous pouvez d'ores et déjà passer votre chemin !

4. Médiatransport, qui appartient au groupe Publicis, est une régie de publicité dans les transports en commun d'Île-de-France et 50 agglomérations, mais aussi dans toutes les gares de France, soit un portefeuille de 120 000 faces publicitaires.

Ce qu’il faut retenir de cette opération

Cette opération montre (s'il le fallait encore) le pouvoir de mobilisation des réseaux sociaux et la puissance de la société civile pour pallier aux manquements des médias. Elle montre (malgré le principe de neutralité, mais en accord avec la feuille de route RSE) la capacité des acteurs privés à participer et donner un élan à ces actions citoyennes. Enfin, elle révèle, en creux,l'extrême inégalité d'accès aux canaux de communication de masse (médias et marché publicitaire) entre multinationales et « petits et moyens » acteurs de la société civile5.

5. En 2017, les ONG achetant de l'espace publicitaire représentaient 1% du marché (Rapport Big Corpo, p.194, 2020)

Sur les pages « Points de vue », le Comité éditorial de Communication et démocratie publie les analyses et opinions de leurs auteurs. Ces contenus alimentent en permanence la réflexion interne de l’association, et l’association considère qu’ils contribuent utilement au débat public sur les enjeux de communication. Ces « points de vue » reflètent les opinions de leurs auteurs et n’engagent pas l’association politiquement.

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