Démocratiser la communication

A l'occasion de son lancement, l'association a publié une tribune dans Le Monde pour livrer son diagnostic et positionner ses axes de recommandations.

La campagne présidentielle vient de le démontrer une nouvelle fois, notre démocratie est en souffrance. Notre incapacité à débattre sérieusement pour agir face aux défis qui s'imposent à nous, à commencer par celui de la crise climatique, est le symptôme d'un appauvrissement systémique du débat public. Paradoxalement, cette situation résulte en grande partie du rôle central pris dans notre société par l'industrie de la communication et de l'influence.

Le président réélu a indiqué vouloir mettre l'écologie au centre de son second mandat et adopter une nouvelle méthode pour lutter contre la fatigue démocratique. Nous croyons que les futurs élus de la nation doivent prendre leurs responsabilités pour montrer qu'une telle double transformation est possible.

Ils défendront à n'en pas douter la démocratie représentative, fortement attaquée sous la dernière législature. Dès lors, qu'ils défendent aussi la démocratie au-delà du cénacle parlementaire et des institutions, en soutenant, de manière transpartisane, une politique de régulation des activités de communication en faveur de la société civile.

Obsolescence marketing

Qu'il s'agisse de vendre aux personnes un « bonheur » par la consommation, ou bien de tromper les citoyens sur les pratiques sociales et environnementales réelles des grandes entreprises, le secteur de la communication dans toutes ses composantes - publicité, marketing promotionnel, communication « RSE » (responsabilité sociétale des entreprises) et relations publiques - n'a jamais déployé des activités d'influence aussi intenses sur nos sociétés et nos vies, encore renforcées par le basculement dans l'ère numérique.

En organisant l'obsolescence marketing de produits que beaucoup jettent et rachètent toujours plus rapidement, la communication commerciale maintient une économie de surconsommation de masse qui rend possible le modèle de surproduction et ses dérives. Elle contribue activement au dérèglement accéléré du climat et à l'épuisement des ressources naturelles. Indirectement, elle déstabilise aussi notre démocratie.

Les dépenses publicitaires colossales des marques leur permettent de diffuser leurs discours, mais aussi de contrôler une grande partie du financement des médias publicitaires et des industries culturelles.

Dans ce contexte, les frontières entre information, communication et divertissement se brouillent, et le clash et le buzz prennent le pas sur l'analyse et l'investigation. Sur Internet, une poignée d'entreprises géantes développent des stratégies de captation de l'attention pour augmenter leurs revenus tirés de la publicité ciblée et de la surveillance de masse.

Au-delà du lobbying conventionnel

Des grandes entreprises, outillées par l'industrie des relations publiques, influencent aussi directement le débat politique, bien au-delà du lobbying conventionnel. Par des stratégies de « lobbying 360° », elles sèment le doute dans la science réglementaire, se dissimulent derrière des « mouvements citoyens » pour passer leurs messages, ou diffusent des discours idéologiques dans l'opinion à grands coups d'achat d'espace publicitaire.

Bref, dans nos sociétés, la maîtrise de l'essentiel des flux de communication et des capacités d'influence par un petit nombre de grandes entreprises contribue à maintenir un modèle à la fois injuste et insoutenable. Cette situation marginalise la voix des acteurs de la vie sociale et culturelle dans toute leur diversité.

Notre société de la communication est malade. Les réformes institutionnelles, pour rénover la démocratie représentative et structurer des mécanismes de démocratie directe, ne seront pas suffisantes. Il faut aussi reconstruire les bases d'une société de communication démocratique : offrir à la diversité des acteurs citoyens la possibilité de diffuser des idées et de peser dans le débat, tout en préservant l'économie des médias et d'Internet des dérives actuelles.

Cinq grands actes

Une politique active doit être engagée afin de réguler les activités de communication et en redistribuer les moyens. Une telle politique s'appuie au moins sur cinq grands axes. A court terme, elle requiert de :

  • restreindre, voire interdire, les pratiques de communication les plus problématiques (dissimulée, intrusive ou polluante), y compris la publicité pour des produits dont la consommation à grande échelle est néfaste pour l'environnement ou la santé publique.
  • Réguler sérieusement les contenus des discours des grandes entreprises. Les mécanismes d'autorégulation par les industriels ont montré leurs limites, et les pouvoirs publics doivent désormais faire avancer la lutte contre l'incitation au gaspillage et le blanchiment d'image.
  • Imposer une plus grande transparence sur la variété des méthodes d'influence, de l'accès public aux données sur les campagnes de communication commerciale à la déclaration des activités de lobbying 360° auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Former et sensibiliser

A plus long terme, deux grands chantiers doivent également être engagés. Il s'agit de :

  • redistribuer l'accès aux moyens de communication aujourd'hui accaparés par les grands intérêts économiques, en faveur de la visibilité des discours de la société civile. Pour cela, les réformes du marché publicitaire doivent s'articuler avec une politique de soutien à l'indépendance et la pluralité des média
  • Former et sensibiliser les (futurs) professionnels et soutenir celles et ceux qui s'engagent dans le secteur associatif, pour leur permettre d'inventer l'éthique de communication appropriée à la singularité des discours citoyens.

En régulant la communication, il est possible d'enclencher une dynamique vertueuse entre renouveau du débat public et transformation écologique. Le diagnostic est solide, les propositions existent. Nous invitons les futurs élus parlementaires à s'en saisir.

Liste des signataires


Didier Courbet, professeur des universités, chercheur en sciences de l'information et de la communication ; Vincent David, vice-président de Communication et démocratie (CODE), fondateur de l'agence RUP ; Meryem Deffairi, maîtresse de conférences en droit public, docteure en droit de l'environnement, avocate ; Mathilde Dupré, codirectrice de l'Institut Veblen pour les réformes économiques ; Rita Fahd, vice-présidente de France nature environnement (FNE) ; Renaud Fossard, délégué général de CODE ; Pascal Jeanne, acteur de l'éducation populaire ; Yves Marry, président de CODE, délégué général de l'association Lève les yeux ; Alan Ouakrat, cofondateur de CODE, enseignant-chercheur en sciences de l'information et de la communication ; Olivier Petitjean, journaliste, coordinateur de l'Observatoire des multinationales ; Céline Réveillac, cofondatrice de CODE, communicante, spécialiste du greenwashing.

Retrouvez la tribune en ligne sur le site du journal Le Monde.

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