Décret « Neutralité carbone » : de la transparence mais pas de régulation contre le greenwashing

Le décret d’application de l’encadrement des allégations de « neutralité carbone » que vient de publier le Ministère de la transition écologique prévoit des obligations de transparence sur la réalité des émissions du produits, mais aucune mesures de régulation lorsque celle-ci sont incompatibles avec les accords de Paris. Le gouvernement offre aux marques un cadre rêvé pour développer encore une des pratiques centrales du blanchiment d’image aujourd’hui.

Dans la droite ligne du projet de décret publié en janvier dernier, déjà largement décrié par plusieurs associations,1 le décret d'application de l'encadrement des allégations de « neutralité carbone »ne contient aucune mesure qui permette de mettre fin à l'utilisation de cette notion pour communiquer sur des produits polluants, et incompatibles avec les engagements pris dans la lutte contre le dérèglement climatique.

Le décret conditionne uniquement l'utilisation de l'expression « neutralité carbone », et plusieurs expressions similaires, à un exercice de transparence sur la mesure des émissions du produit durant son cycle de vie, selon la norme ISO 14067.Cette démarche de transparence pouvait effectivement offrir un outil pour ensuite interdire les pratiques jugées abusives.

Mais les deux principaux outils de régulation sur le sujet ont été écartés : aucune liste de produits particulièrement polluants pour lesquels les mécanismes de compensation ne devraient pouvoir être convoqués n'a été produite, aucune référence à des seuils et trajectoires d'émissions qui garantissent la comptabilité avec les accords de Paris n'ont été identifiées. A ce stade,les entreprises doivent seulement indiquer la trajectoire de réduction des émissions associées aux produits sur les dix années suivantes, celle-ci pouvant être minimalistes et incompatibles avec les objectifs climatiques du pays.

1 Notre association Communication et démocratie, mais également Carbone 4 et l'association de défense des consommateurs CLCV se sont toues exprimées publiquement pour souligner les failles qu'ouvrait le projet de décret, maintenues pour la plupart dans le décret finalement publié.

Le gouvernement vient d'accorder le droit aux marques qui plantent des arbres, de présenter comme « neutre » n'importe quels produits ultra polluants, si elles montrent qu'ils le sont à peine moins chaque année. C'est un boulevard pour le greenwashing et le business as usual

Renaud FossardDélégué général de Communication et démocratie

Si ce mécanisme strictement axé sur la transparence est clairement insuffisant le dispositif de sanctions, prévu par un décret séparé publié le 13 avril, l'est tout autant : le ministère de l'environnement demandera d'abord des explications à l'annonceur et, à défaut, la mise en conformité de la communication. Seulement si l'annonceur ne réagit toujours pas, l'amende prévue à l'article L229-69 du Code de l'Environnement pourra lui être attribuée. Autrement dit, l'annonceur aura toute latitude pour communiquer sur la neutralité carbone de ses produits, y compris en manquant à son devoir de transparence, et de se mettre en conformité dans un second temps, une fois la campagne d'achat d'espace terminée mais avant que ne puisse s'appliquer les sanctions.

Les débats parlementaires dans le cadre de la loi Climat et résilience, inspirés de l'avis de l' ADEME de mars 2021sur le sujet2, indiquaient clairement vouloir lutter contre les pratiques abusives d'allégation de neutralité carbone. La substitution d'une approche de transparence à celle de la régulation est apparue à l'issue de ces débats publics, durant la Commission mixte paritaire. : dès lors, les preuves relatives à la mesure, à la réduction et à la compensation des émissions devaient autoriser les entreprises à communiquer sur la neutralité de n'importe quel produit.3 A nouveau, le principe de compensation est positionné comme équivalent à celui de l'absence d'émission de C02, à rebours de la compréhension la plus basique des principales d'écologie politique.

2 Source : https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-37320-avis-ademe-neutralite-carbone.pdf

3 Lors de sa présentation à la presse du calendrier des décrets d'application le 15 décembre dernier, le ministère de la transition écologique tentait encore de rassurer en indiquant que sur ce sujet, « le principe général est l'interdiction » et qu'allait être prévue « une dérogation extrêmement encadrée ». Source : Article Veille CODE du 16 décembre 2021.

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