Pour une loi Sapin III de transparence et régulation du lobbying 360°

Pour la transparence du lobbying 360°

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La loi Sapin II, introduite en décembre 2016 pour renforcer la transparence du lobbying, est insuffisante pour combattre les stratégies de capture des décisions politiques que sont aujourd’hui capables de mettre en œuvre les grandes entreprises.
Elle doit être révisée et conduire à une « loi Sapin III » afin de compléter le dispositif actuel de transparence sur les activités de lobbying conventionnel, mais aussi d'y inclure sans ambiguïté les activités de lobbying 360°. De plus, le nouveau dispositif devra intégrer de véritables mesures de régulation de l’influence politique, sans lesquelles, souvent, la transparence seule ne résout rien.
Plus que jamais, aujourd'hui en France, une réforme institutionnelle est nécessaire pour redonner confiance aux citoyennes et citoyens dans la démocratie. Nous défendons l’inclusion dans cette réforme d’un axe fort sur la transparence et la régulation du lobbying, qui s’attaquera aux réalités contemporaines des stratégies d'influence politique des grandes entreprises.

Enjeu : l’inclusion des activités de lobbying 360° dans le dispositif de transparence

Une conception encore trop restrictive de l'influence politique, focalisée sur les activités de lobbying institutionnel

Le dispositif de transparence sur les activités de représentants d'intérêts en France repose sur la loi Sapin 2 (2013) et son décret d'application relatif au répertoire numérique des représentants d'intérêt (2017). Il est ensuite mis en œuvre par la Haute autorité de transparence de la vie publique (HATVP) dans le cadre de ses lignes directrices.

A ce jour, ce dispositif adopte une définition encore trop imprécise des actions de représentations d'intérêts, conduisant la HATVP à ne considérer que la communication directe et institutionnelle entre les lobbyistes et les décideurs1. Alors que le décret inclut parmi les "actions de communication"soumises à obligation déclarative certaines activités de lobbying indirect, la HATVP, dans ses lignes directrices, considère que seules les actions de communication par un canal direct avec le décideur entrainent, à elles seules, l'obligation déclarative. L'autorité administrative va jusqu'à préciser - en contradiction manifeste avec l'annexe du décret - que les"campagnes de sensibilisation de l'opinion" doivent être exclues du dispositif de transparence.

Ce dispositif, focalisé sur les outils de communication de manière excessivement restrictive, se trouve en décalage avec la réalité de campagnes d'influence menées en France ces dernières années sur l'opinion publique, qui conduisent à des réactions des décideurs politiques et influencent manifestement les processus politiques.

Pour l'intégration des campagnes de communication d'influence dans les registres de la HATVP

Obtenir la transparence sur les campagnes d'influence des grandes entreprises suppose de ne pas se limiter à l'identification des outils de communication, et de prendre en compte les dispositifs de campagne dans leur entièreté et selon leur finalité politique. Les campagnes d'influence politique engagées par des entreprises sont externalisées et mises en œuvre auprès d'agences spécialisées, qui établissent avec l'entreprise des documents contractuels incluant les objectifs stratégiques et les dispositifs opérationnels (le « brief de campagne »). Ces documents attestent de la démarche d'influence politique.

Au niveau du registre de la HATVP, cela suppose d'intégrer les « campagne de communication d'influence » dans les options d'actions à déclarer, suite à quoi peuvent être déclinés les outils utilisés (relation presse, publicité, community management, commande d'étude, etc.) et les budgets correspondants.

Dans ce sens, nous réclamons a minima une modification du décret 2017-867 afin d'expliciter la prise en compte des activités de communication aussi bien directes qu'indirectes et pour étendre la liste des actions de communication à l'ensemble des outils utilisés dans les campagnes de lobbying indirect, notamment :

  • la commande de sondage et d'étude,
  • la publicité,
  • les relations presse
  • le community management
  • la mise en place de structures (paravent)

Mais le bon fonctionnement démocratique dans lequel devraient s'inscrire les activités de représentation d'intérêts suppose à la fois un dispositif de transparence approprié et l'adoption de mesures de régulation, voir d'interdiction, pour certaines activités. Nous considérons ainsi qu'une véritable réforme légale est nécessaire pour mettre en place à la fois un dispositif de transparence approprié et des mesures de régulation.

La modification du décret 2017-867 peut garantir une transparence suffisante sur les activités de lobbying indirect, une condition préalable à un futur débat démocratique sur les éventuelles mesures de régulation nécessaire à la préservation de l'intérêt général.

Sous la terminologie de « grassroots lobbying » ou encore plus largement de « indirect lobbying », dans le Lobby Disclosure Act ou en application du Internal Revenue Code, la majorité des États américains imposent une telle transparence sur les activités de communication d'influence. Outre-Atlantique, les agences spécialisées ont intégré ces obligations de reporting dans leurs activités ordinaires.

Quelques repères

  1. Décembre 2016:

    Promulgation de la Loi Sapin II
  2. Mai 2017

    Décret n° 2017-867 du 9 mai 2017 relatif au répertoire numérique des représentants d’intérêts
  3. Mai 2019

    Colloque « 48h chrono sur le lobbying » organisé par le député Sylvain Waserman
  4. Décembre 2020

    Lancement par la Commission des lois de l’Assemblée nationale de la mission d’évaluation de la loi Sapin II
  5. Mai 2021

    Audition du DG de Communication et démocratie et Juliette Renaud des Amis de la Terre France, par la mission d’évaluation
  6. Juillet 2021

    Publication du rapport de la mission d’évaluation, qui évoque les stratégies d’influence sur le débat public et est assorti d’une série de recommandations
  7. Mars-avril 2023

    Mission flash sur la rédaction du décret d’application relatif au répertoire numérique des représentants d’intérêts / Contribution de CODE

Les autres défaillances de la loi Sapin II : une transparence incomplète et l’absence de mesures de régulation

L'objectif de transparence qui est au cœur de la loi Sapin 2 est important. L'évaluation de la mise en œuvre de cette loi montre qu'il n'est clairement pas atteint, et par ailleurs, que les seules mesures de transparence ne suffisent pas.

Les informations actuellement publiées ont un intérêt extrêmement limité car elles manquent de précision, tant sur l'objet de l'activité d'influence que sur la nature de cette activité et sur les décideurs visés. De nombreuses activités ne font l'objet d'aucune déclaration.

De plus, la transparence n'est qu'un préalable nécessaire à l'encadrement du lobbying et à la garantie d'un débat démocratique. Elle est loin d'être suffisante. D'autres mesures sont indispensables.

Il existe aujourd'hui une forte asymétrie dans l'accès aux décideurs. Une enquête de Politico en 2021 montre que les lobbyistes du secteur privé sont plus de 10 fois plus entendus que les représentants de la société civile. Depuis le début du premier quinquennat d'Emmanuel Macron, ils représentaient alors 86 % des personnes auditionnées contre seulement 7 % seulement pour les associations de défense des causes.

Il est désormais nécessaire de créer un véritable « pare feu » entre les lobbyistes et les décideurs dans certains domaines clés touchant à l'intérêt général, tel que cela a été mis en place dans la convention cadre de l'Organisation mondiale de la santé pour la lutte anti-tabac. Dans ce sens, nous soutenons au niveau européen la campagne « FossilFree Politics » pour exiger de mettre fin à l'influence des lobbies des énergies fossiles. Cela comprend par exemple des demandes comme la fin du sponsoring d'événements publics par des entreprises du secteur ou l'interdiction pour les décideurs d'intervenir dans des conférences organisées par l'industrie fossile.

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