Une conception encore trop restrictive de l'influence politique, focalisée sur les activités de lobbying institutionnel
Le dispositif de transparence sur les activités de représentants d'intérêts en France repose sur la loi Sapin 2 (2013) et son décret d'application relatif au répertoire numérique des représentants d'intérêt (2017). Il est ensuite mis en œuvre par la Haute autorité de transparence de la vie publique (HATVP) dans le cadre de ses lignes directrices.
A ce jour, ce dispositif adopte une définition encore trop imprécise des actions de représentations d'intérêts, conduisant la HATVP à ne considérer que la communication directe et institutionnelle entre les lobbyistes et les décideurs1. Alors que le décret inclut parmi les "actions de communication" soumises à obligation déclarative certaines activités de lobbying indirect, la HATVP, dans ses lignes directrices, considère que seules les actions de communication par un canal direct avec le décideur entrainent, à elles seules, l'obligation déclarative. L'autorité administrative va jusqu'à préciser - en contradiction manifeste avec l'annexe du décret - que les "campagnes de sensibilisation de l'opinion" doivent être exclues du dispositif de transparence.
Ce dispositif, focalisé sur les outils de communication de manière excessivement restrictive, se trouve en décalage avec la réalité de campagnes d'influence menées en France ces dernières années sur l'opinion publique, qui conduisent à des réactions des décideurs politiques et influencent manifestement les processus politiques.
Pour l'intégration des campagnes de communication d'influence dans les registres de la HATVP
Obtenir la transparence sur les campagnes d'influence des grandes entreprises suppose de ne pas se limiter à l'identification des outils de communication, et de prendre en compte les dispositifs de campagne dans leur entièreté et selon leur finalité politique. Les campagnes d'influence politique engagées par des entreprises sont externalisées et mises en œuvre auprès d'agences spécialisées, qui établissent avec l'entreprise des documents contractuels incluant les objectifs stratégiques et les dispositifs opérationnels (le « brief de campagne »). Ces documents attestent de la démarche d'influence politique.
Au niveau du registre de la HATVP, cela suppose d'intégrer les « campagne de communication d'influence » dans les options d'actions à déclarer, suite à quoi peuvent être déclinés les outils utilisés (relation presse, publicité, community management, commande d'étude, etc.) et les budgets correspondants.
Dans ce sens, nous réclamons a minima une modification du décret 2017-867 afin d'expliciter la prise en compte des activités de communication aussi bien directes qu'indirectes et pour étendre la liste des actions de communication à l'ensemble des outils utilisés dans les campagnes de lobbying indirect, notamment :
- la commande de sondage et d'étude,
- la publicité,
- les relations presse
- le community management
- la mise en place de structures (paravent)
Mais le bon fonctionnement démocratique dans lequel devraient s'inscrire les activités de représentation d'intérêts suppose à la fois un dispositif de transparence approprié et l'adoption de mesures de régulation, voir d'interdiction, pour certaines activités. Nous considérons ainsi qu'une véritable réforme légale est nécessaire pour mettre en place à la fois un dispositif de transparence approprié et des mesures de régulation.
La modification du décret 2017-867 peut garantir une transparence suffisante sur les activités de lobbying indirect, une condition préalable à un futur débat démocratique sur les éventuelles mesures de régulation nécessaire à la préservation de l'intérêt général.
Sous la terminologie de « grassroots lobbying » ou encore plus largement de « indirect lobbying », dans le Lobby Disclosure Act ou en application du Internal Revenue Code, la majorité des États américains imposent une telle transparence sur les activités de communication d'influence. Outre-Atlantique, les agences spécialisées ont intégré ces obligations de reporting dans leurs activités ordinaires.