Démocratisons la communication

Texte fondateur

"Démocratisons la communication" est le texte fondateur de Communication et démocratie, adopté le 9 mai 2022 au consensus par la totalité des membres de l'assemblée générale constitutive de l'association.

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L’émergence tardive d’un marché de l’influence

En quelques siècles, l’information et de la communication ont donné lieu à de véritables secteurs économiques et professionnels, industrialisés. D’une part, le secteur des télécommunications organise le stockage massif et la transmission rapide de l’information; d’autre part, le secteur des médias d’information et de divertissement ainsi que les industries culturelles organisent la production et la circulation du sens. Leurs propos sémantiques peuvent porter à la fois sur l’actualité, la politique, la connaissance et les savoirs, ou la littérature et les arts. Ensemble, ces industries nourrissent une grande partie du tissu informationnel qui donne son épaisseur aux cultures humaines.

Les industries des médias et les industries culturelles sont aussi les piliers historiques de la construction de publics, constitués de personnes qui trouvent un intérêt à leurs contenus sémantiques : lecteurs, auditeurs et téléspectateurs. C'est lorsque durant le 20ème siècle, outillés par le secteur des télécommunications, les médias ont commencé à générer des publics de plus en plus massifs, qu'une industrie de l’influence a véritablement émergé en développant l’accès des entreprises à ces publics, et en approfondissant les savoirs faire dans la mise en forme de messages persuasifs. Ces « agences de communication » se sont développées en vendant aux entreprises la production et la diffusion de campagnes d’influence sur des populations ciblées.

Les agences publicitaires ont rapidement prospéré en louant à certains médias l’accès à leurs publics : de l’espace et du temps autour des contenus éditoriaux et culturels, pour diffuser des messages promotionnels précisément calibrés. Elles ont ensuite institué leurs propres capacités de diffusion en dehors des médias : dans l’espace public et dans les espaces privés des individus et des familles.

De leur côté, les agences de relations publiques (RP) ont développé des stratégies pour que leurs contenus soient directement repris par les rédactions des médias d’information, en mettant en scène des actualités autour de l’entreprise et de ses produits. D’autres structures enfin, souvent appelées des « cabinets », se sont spécialisées dans l’influence politique et les activités de lobbying auprès des institutions, pour défendre les intérêts de leurs clients, principalement les intérêts économiques des entreprises.

Ensemble, les professionnels de ces agences – de publicité, de relations publiques et de lobbying, – ainsi que leurs interlocuteurs de plus en plus nombreux au sein des entreprises, ont progressivement formé le secteur de la communication.

Les racines du déraillement de l’industrie de la communication

Lorsqu’elles poursuivent des objectifs commerciaux - d’augmentation des ventes de produits - la publicité et les opérations de RP visent à atteindre les citoyennes et les citoyens dans tous les espaces sociétaux, pour leur faire connaître des produits et susciter des désirs de consommation. Avec les activités complémentaires de marketing promotionnel, conduites directement dans les foyers et sur les lieux de vente, les entreprises ont progressivement appris à prolonger leurs campagnes d’influence jusqu’au enjeux du déclenchement de l’acte d’achat.

Ensemble, toutes ces activités forment la communication commerciale, qui a soutenu le développement économique et culturel de la société de consommation, d’abord aux États-Unis puis en Europe de l’ouest et au Japon.

L’équilibre de ce modèle repose sur le maintien d’un haut niveau de consommation des ménages. Il s’est développé au cœur du 20ème siècle, dans des pays industrialisés dans lesquels les populations étaient encore relativement exposées aux phénomènes de pénurie, et avant que n’émergent les premiers diagnostics sur le dérèglement climatique. La communication commerciale se développait alors dans un contexte de forte « croissance économique » certes déjà polluante – quoique bien moins qu’aujourd’hui en volume – mais qui offrait une élévation indéniable du niveau de vie , y compris par le biais des biens de consommation et d’équipement des ménages : introduction et généralisation du réfrigérateur, du lave-linge, de la télévision et de la voiture entre autres. À cette époque, ce processus participait d'une économie de plein emploi. Il s’inscrivait aussi dans un contexte de réduction des inégalités ainsi que, pour d’importantes populations, d’augmentation du temps de loisirs.

Cependant, les « besoins » des individus ne sont pas indéfiniment extensibles, pas plus d’ailleurs que les limites physiques de la planète. Après quelques décennies – nommées« Trente Glorieuses » en France - le maintien d’un haut niveau de demande de consommation des ménages s'est avéré de plus en plus laborieux. A différents niveaux dans les pays industrialisés, la croissance économique ralentit, et le chômage de masse s’installe durablement. Pour maintenir la demande élevée de consommation, la fuite en avant de la communication commerciale a alors véritablement démarré. C’était il y a un demi-siècle.

Finalement, la révolution néolibérale engagée par les grandes puissances dans les années 1980 se caractérise par la dérégulation mondiale du commerce et de la finance. Ce contexte allait faciliter les investissements des entreprises dominantes dans la communication, et le développement tous azimuts des activités d’influence mises en œuvre par le secteur de la communication, qui n’a dès lors jamais cessé de croître. Le monde assistera, en moins de deux décennies, à une hyper-concentration de l’économie mondialisée entre quelques milliers de conglomérats industriels, commerciaux et financiers. Aujourd’hui, la majeure partie de ces multinationales développent des stratégies de marques, et elles s’appuient sur une poignée de groupes internationaux qui dominent le secteur de la communication et de l’influence.

L’industrie de l’influence commerciale au centre d’un modèle devenu insoutenable

Pour écouler des biens de plus en plus superflus, l’industrie s’est appuyée sur des méthodes de persuasion toujours plus performantes mais souvent, de plus en plus problématiques. Les techniques de neuromarketing, portant sur les déterminants comportementaux de l’individu, se sont perfectionnées en ciblant leur action sur les émotions ou les biais cognitifs des individus, pour notamment affecter les cerveaux à un niveau infra-conscient, par exemple via le circuit biologique de la récompense. Dans le même temps, la publicité s’est évertuée à inscrire le désir et l’acquisition de biens de consommation dans des dynamiques socioculturelles plus profondes, et dans des rapports de classe au sein de la population, pour développer des communautés de marques.

Plus largement, la communication commerciale s’est saisie du principe des effets de modes pour engager le consumérisme dans une croissance intensive : elle a renforcé ses stratégies d’obsolescence marketing. Autrement dit, elle a articulé, dans le discours publicitaire autour de la « nouveauté », des stratégies industrielles de design et d’innovation-gadget afin de provoquer un renouvellement accéléré des produits qui pourtant fonctionnent encore.

En quelques décennies, la massification du marché publicitaire s’est observée dans tous les espaces de la société. De plus en plus de médias privés se sont développés avec un modèle fortement ou totalement financés par la publicité, et dépendant de l’économie des audiences et du médiaplanning. De nombreux médias renonçaient de ce fait, en grande partie, à leur ambition journalistique et à leur mission culturelle pour se consacrer à la poursuite des goûts idéaux du téléspectateur moyen. Dans le même temps, le placement de produit se développait au centre des plus grosses productions dans le cinéma et les vidéo clips, le parrainage (sponsoring) et le nommage (naming) devenaient quant à eux, centraux dans les grandes compétitions sportives et culturelles. L’espace public qui, à la différence des médias, ne peut être contourné, n’est pas en reste avec la multiplication des supports visibles depuis la rue et dans les différents lieux de passage (gares, métro, etc.) : affiches, écrans numériques, jusqu’à des formats géants accrochés aux immeubles, y compris aux monuments du patrimoine historique dans l’Hexagone. Depuis les années 2000 en France, les marques entrent dans les écoles et les programmes scolaires.

Désormais, rares sont les êtres humains qui n’ont pas été exposés quotidiennement, depuis leur enfance, à des milliers de messages publicitaires et stimuli commerciaux. L’économie du bien-être montre que ces hauts niveaux de pression publicitaire ont des effets sociétaux. Ils affectent négativement le sentiment de satisfaction des consommateurs et, en renforçant uniquement les valeurs dites extrinsèques des populations, vont à l’encontre de la stimulation des comportements d’empathie et de solidarité entre les individus.

Dérégulé et au service des grandes marques, le secteur de la communication déploie aujourd’hui des activités d’influence commerciale qui jouent un rôle direct dans l’organisation de la surconsommation de masse, y compris dans des secteurs économiques (ou pour des produits) particulièrement polluants ou délétères pour la santé. Ce faisant, dans le contexte d’un capitalisme dérégulé, l’influence commerciale des grandes entreprises rend possible la perpétuation d'un modèle de surproduction , entraînant l’épuisement des ressources naturelles, l’émission massive de CO2 dans l’atmosphère et l’accumulation des déchets. Autrement dit, l’influence commerciale des multinationales permet le maintien d’un modèle consumériste et productiviste insoutenable, à l’origine de la crise environnementale et climatique.

Le rôle du blanchiment d’image dans l’impunité des multinationales

L’intensification des enjeux écologiques et de solidarité internationale, au tournant du millénaire, a conduit au développement des engagements volontaires, non contraignants, des acteurs privés, au moyen d’un discours sur la responsabilité sociale des entreprises (RSE).

Inspirés par le récit idéologique du « développement durable », les discours RSE s’insèrent souvent dans des campagnes commerciales, lorsqu’ils mettent en avant des qualités sociales ou environnementales attribuées à des produits, parfois étendues à leur processus de production. Mais ces discours RSE renvoient aussi en grande partie à des stratégies de communication dites « corporate » ou « institutionnelle », qui portent sur l’image même de l’entreprise, sur la réputation de sa marque au-delà de ses différents produits. Dans ce cadre, les entreprises à but lucratif s’attribuent publiquement des missions sociétales et mettent en scène une actualité autour de leurs prétendus bienfaits.

Sans contrôle réel de la conformité des allégations avec la réalité, les discours RSE sur le plan commercial peuvent tromper les consommateurs-citoyens, au détriment d’une offre possiblement plus vertueuse. Les discours RSE que des entreprises développent aussi sur le plan corporate peuvent, pour leur part, créer un brouillard informationnel susceptible de noyer d’autres informations, comme les dénonciations documentées sur leurs pratiques réelles relatives aux droits humains et à l’environnement.

Les pratiques de blanchiment d’image, sociale ou écologique, organisent l’opacité sur les conséquences néfastes d'entreprises aux modèles économiques prédateurs. Celles-ci se prémunissent ainsi des risques réputationnels, et de leurs effets négatifs sur la valeur financière de leur image de marque. Ce faisant, les discours RSE prennent part à la construction du récit idéologique autour du succès des organes d’autorégulation, et à la disqualification de l’introduction par les pouvoirs publics de mesures contraignantes. Les pratiques de blanchiment d’image participent ainsi à l’impunité des multinationales.

Les enjeux contemporains du blanchiment d’image des grandes entreprises soulèvent aussi la question de la communication des ONG. Au sein d’une société civile riche et multiple, un nombre limité de grandes associations, qui disposent d’une véritable notoriété de marque, engagent des campagnes de communication de grande ampleur, et leurs discours et leurs pratiques peuvent être perçus par le public comme représentatifs de ceux de « la société civile » dans son ensemble. Or, dans un grand nombre d’entre elles, les responsables de communication décident de faire appel aux mêmes agences de communication que les grandes entreprises, et acceptent d’avoir recours à des pratiques marketing et publicitaires tout aussi agressives et douteuses (goodies, achat/vente de données personnelles, sémiotique publicitaire fallacieuse), uniquement tournées vers des objectifs de court terme de déclenchement du comportement de don. Certaines s’engagent aussi dans des partenariats mal maîtrisés, dans lesquels les bénéfices pour l’entreprise en terme d’image peuvent s’avérer tout à fait excessifs ou en décalage avec l’intérêt général de l’opération.

Dès lors, dénuées d’une vision politique de leurs activités et postures de communication, ces associations contribuent à édifier, au sein de la population, des représentations qui peuvent aller à l'encontre des combats que mène de longue date le secteur associatif. Pire, elles participent à la confusion croissante, dans la perception du public, entre les acteurs du secteur non lucratif et les grands intérêts économiques privés, au bénéfice du discours RSE des multinationales qui fait le lit de leur blanchiment d’image.

Les enjeux démocratiques de l’industrie de l’influence dans la nouvelle ère du monde connecté

Sur des sujets d'importance majeure comme la transition énergétique, l'alimentation ou la santé publique, l’influence idéologique diffuse des discours RSE peut laisser la place à des campagnes corporate aux objectifs plus directement politiques. Articulées avec les activités de lobbying institutionnel, ces campagnes corporate et de relations publiques s’insèrent dans des dispositifs de « lobbying 360° », à l’image de ceux développés notamment par l’industrie du tabac au 20ème siècle.

Pour faire évoluer un débat dans l’actualité politique, de grandes entreprises achètent de l’espace publicitaire et mènent des opérations de RP, puis diffusent dans l’opinion des messages éminemment politiques. Certaines s’engagent aussi dans des tactiques d’« astroturfing » mettant en scène de fausses mobilisations citoyennes ou construisant artificiellement le doute dans le domaine scientifique, déformant ainsi, aux yeux des décideurs, l’état de l’opinion ou du consensus dans le monde universitaire. Dès lors, ces entreprises se mettent en situation de capturer l’univers informationnel des responsables politiques qu’elles ciblent, et de contrôler l’ensemble du processus de décision relatif à leurs intérêts économiques.

Le manque de transparence et la faiblesse de la régulation du lobbying conventionnel est une problématique politique désormais bien identifiée. Depuis la fin du 20ème siècle, s’y ajoutent les enjeux de régulation du blanchiment d’image et du lobbying 360°, qui mettent en péril la lutte contre l’impunité des multinationales et les mécanismes démocratiques d’élaboration des décisions collectives. S’y ajoutent également des moyens nouveaux, sans précédent, donnés à l’industrie de la communication pour augmenter ses capacités d’influence, aussi bien commerciale que politique : l’Internet et le monde connecté.

Depuis la fin du 20ème siècle s’engage un processus socio-technique de numérisation du monde, soit l’établissement d’une connexion continue des individus à la technologie numérique. Au cours de la décennie passée, un basculement dans l’ère numérique s’est produit, si bien que regarder des écrans est devenu la principale activité humaine éveillée. De ce fait, un nouveau marché publicitaire s’est développé, qui permet de diffuser plus de messages vers la population, plus souvent et de manière mieux ciblée. Largement additionnel aux marchés publicitaires antérieurs, celui de la publicité en ligne a néanmoins mis en difficulté la presse traditionnelle. Entraînant les médias d’information dans une dépendance accrue à des financements publicitaires réduits, elle est à l’origine d’une fuite en avant des versions en ligne des médias, qui ouvrent de plus en plus la voie à la publicité dissimulée dans les contenus éditoriaux (publicité native). La dépendance des médias vis-à-vis de grands annonceurs soumet aussi un nombre croissant de journalistes et de rédactions à des mécanismes de censure et d’autocensure dans les investigations relatives aux entreprises qui les financent.

Le marché de la publicité numérique repose en outre sur des capacités technologiques nouvelles de collecte des données personnelles et de ciblage individuel qui soulèvent des enjeux spécifiques, en plus de celui de la pollution numérique directe dans laquelle ce secteur joue un rôle majeur. Le marché des données personnelles, auquel donne lieu le ciblage des populations, génère des problématiques de surveillance de masse qui conduisent aussi bien à des enjeux de capitalisme de surveillance qu’à des dérives démocratiques majeures. L’intérêt économique de la collecte (pour les revendre) des données personnelles, comme celui de la diffusion de publicité vers les internautes, a aussi entraîné le développement de techniques nouvelles de design persuasif, des interfaces qui sollicitent activement les individus et les conduisent à augmenter leur temps passé en ligne. Ces dynamiques, toutes motorisées par l’économie publicitaire, entraînent le développement d’une économie de l’attention, prédatrice pour le temps, le bien-être et la santé des individus.

Avec cette transformation de l’économie publicitaire à l’ère du numérique, le secteur de la communication compte aujourd’hui en son sein les plus grandes entreprises mondiales, les « géants du numérique ». Ainsi, une poignée d’entreprises dont dépendent aujourd’hui les grands médias s’est accaparée le marché publicitaire en ligne et monopolise les voies d’accès à l’attention humaine.

Apporter une réponse politique aux dérives de notre société de la communication

C’est en communiquant avec ses semblables que l’être humain a produit du sens, et c’est par la communication qu’il s’est humanisé en tant qu’être pensant. Sémantique, syntaxique ou pragmatique, la communication humaine est fondamentalement politique. Elle est un outil précieux que toute société doit efficacement mettre au service de la circulation du débat social, politique et culturel.

Mais cet outil est aujourd’hui dévoyé. Le secteur de la communication a été accaparé par de grands intérêts industriels et commerciaux qui, dans un contexte de dérégulation, commandent et financent des campagnes d’influence qui peuvent être néfastes pour la collectivité. Aujourd’hui, les plupart des professionnels de la communication connaissent encore peu ou mal les enjeux politiques que soulèvent les activités de leurs clients, bien qu’un nombre croissant d’entre eux se questionnent sincèrement sur la pratique de leur métier. Les entreprises à but lucratif sont légitimes à communiquer de l’information sur leur produits, y compris par l’achat d’espace mais, de fait, leurs activités de communication et d’influence sont aujourd’hui insuffisamment encadrées.

Les règles pour lutter contre les dérives des techniques d’influence sont insuffisantes, et celles qui existent ne sont pas toujours appliquées. Pour réguler les contenus des messages, les mécanismes d’autorégulation, qui se sont largement substitués aux pouvoirs publics dans ce domaine, ont fait la preuve de leurs insuffisances, voire de leur nature d’organe de défense des intérêts du secteur publicitaire. Au-delà des techniques, des supports et des messages, le niveau de pression publicitaire sur les populations, corrélé à la dépendance des médias vis-à-vis des annonceurs, se situe à des niveaux insoutenables. De ce fait, quelques grandes associations sont conduites à se partager quelques miettes du marché publicitaire, et à céder aux pratiques dominantes de l’industrie de l’influence pour des objectifs tout aussi court-termistes, tandis que les discours des plus petits acteurs socio-économiques et citoyens demeurent presque invisibles.

Dans ce contexte, les activités contemporaines de l’industrie de l’influence nous contraignent à suivre une trajectoire économique et sociale non souhaitable, nuisible à l'environnement, aux équilibres planétaires et à notre propre bien-être individuel et social ; elles contribuent aussi à affaiblir notre capacité collective à apporter des solutions à ces problèmes et à changer de modèle, sans même que ces activités soient publiquement questionnées et débattues, comme l’exigerait un véritable processus démocratique.

Apporter une réponse politique aux dérives de la société de communication est devenu nécessaire. La réorganisation des moyens d’information et de communication est inévitable, et sa méthode doit être discutée et tranchée par débat démocratique. Dans ce contexte, une analyse citoyenne des enjeux de communication des personnes morales doit contribuer à penser la société de la communication de demain, et les réformes indispensables pour la voir émerger.

Démocratisons la communication et ré-imaginons les richesses du monde

L’association Communication et démocratie - « CODE » - est née dans cet esprit : en rassemblant des personnalités qualifiées sur ces sujets, issues de diverses disciplines universitaires, du secteur de la communication et des médias, et de la société civile, ainsi que des personnes disposant d’une variété de compétences utiles à son objet social, l’association vise à offrir un espace d’analyse indépendant de haut niveau. Elle se veut un véritable lieu de débat critique des enjeux politiques de la communication, d’animation des débats publics sur le sujet, et d’élaboration de propositions à porter dans l’opinion et à défendre auprès des décideurs politiques et institutionnels.

Son action doit contribuer à ré-imaginer une société de la communication au service des peuples, de l’émancipation culturelle et de la préservation de la planète, dans laquelle la communication des entreprises et de la société civile participe à la transition écologique et sociale. Son action s’inscrit plus largement dans le processus de respiration démocratique dont ont besoin nos sociétés contemporaines pour transformer nos modes de production, nos modes de vie et, par conséquent, pour faire évoluer nos structures politiques.

Des réformes institutionnelles sont ainsi devenues nécessaires pour rénover les mécanismes de démocratie représentative et structurer les mécanismes de démocratie directe. Mais il faut aussi aujourd’hui des politiques publiques, économiques et culturelles qui permettent à la société civile organisée et aux mouvement sociaux de nourrir activement le débat public et politique. C’est sur ce dernier élément que se concentre la théorie du changement de CODE : la pluralité des discours doit pouvoir peser, de manière équitable, face aux considérables capacités de communication et d’influence des grandes entreprises, dont l’encadrement et la régulation doivent être repensés et renouvelés.

La démocratisation des moyens de communication doit conduire à la recomposition de la sphère informationnelle dans laquelle évolue l’humanité, pour enrichir le substrat culturel qui l’alimente au quotidien. Ce faisant, cette politique se présente comme une invitation à ré-imaginer les richesses du monde.

Nos priorités et nos alliances stratégiques pour une victoire d’étape

Cinq grands principes au moins devraient structurer une politique de démocratisation des activités de communication : la formation des acteurs-clés aux enjeux de la communication, la transparence publique des activités d’influence, l’encadrement des produits, des pratiques et des supports, la régulation des contenus, et la redistribution des moyens de production et de diffusion des discours.

La formation aux enjeux de la communication doit évoluer, en transformant les programmes d’enseignement des futurs professionnels sur les enjeux politiques de la communication d’aujourd’hui, et en accompagnant la montée en compétence de la société civile sur les enjeux stratégiques et éthiques de la communication ; ce dernier élément devant faciliter l’adoption par les ONG de standards de communication qui se trouvent à la fois efficaces pour l’accomplissement de leur objet social, cohérents politiquement et ambitieux sur le plan éthique.

Pour rendre transparente les activités de communication des personnes morales, le détail des dépenses engagées dans les différents supports doit être rendu public et aisément accessible, et être l’objet d’obligation déclaratives spécifiques lorsqu’il s’agit d’activité de communication d’influence politique ;

L’encadrement des activités de communication vise à mettre fin à leurs principales dérives, telles que les supports publicitaires et les techniques marketing intrusives, dissimulées ou polluantes, la promotion des produits dont la consommation de masse a des conséquences néfastes pour l’environnement ou la santé publique, ou les dispositifs d’astroturfing et d’influence politique masqués ;

Qu’il s’agisse de messages commerciaux, RSE ou corporate, les discours des entreprises doivent faire l’objet d’une régulation indépendante mise en œuvre par les pouvoirs publics dans le sens de l’intérêt général. Il s’agit de contrôler, dans la communication de masse, la présence d’une information utile vérifiable et complète, et prévenir les stratégies sémiotiques conduisant à l’obsolescence marketing, au blanchiment d’image et à l’influence politique dissimulée sur le débat public.

A plus long terme, la transformation du modèle économique et culturel nécessite de redistribuer l’accès aux moyens de communication. Dans une perspective de bataille culturelle, des politiques publiques doivent intervenir, sur le terrain économique notamment, pour limiter les capacités de diffusion publicitaire des grandes entreprises, soutenir l’indépendance et la pluralité des médias, et faciliter l’accès de la société civile aux moyens de communication. Les associations de défense de causes doivent pouvoir bénéficier d’un accès privilégié aux moyens de communication, et à des espaces dans les médias appropriés à l’expression de la singularité des discours citoyens.

L’association entend articuler son combat, pour la régulation des activités de communication des grandes entreprises, avec les luttes en cours pour la responsabilité des maisons-mères vis-à-vis des conséquences de leurs activités industrielles et financières, et pour la transparence et la régulation de leurs activités de lobbying institutionnel. Elle soutiendra l’évolution des normes entourant la responsabilité sociale des entreprises dans la mesure où celles-ci ne se substituent pas aux faiblesses de l’intervention par les pouvoirs publics. Elle inscrira son travail sur les enjeux de régulation des activités de communication dans les problématiques plus larges de protection de l’environnement et des consommateurs, de réformes démocratiques des médias, de développement d’un internet et d’une technologie numérique libres et conviviaux.

De même que la démocratie est un processus à protéger et à approfondir de manière constante, la mission de Communication et démocratie devrait se structurer sur une base permanente, et certainement se diversifier et évoluer en lien avec l’évolution du contexte historique. Néanmoins, les premiers éléments constitutifs de la société de la communication que nous appelons de nos vœux pourraient émerger relativement rapidement.

Notre objectif à moyen terme est que l’action de Communication et démocratie ait contribué à ce que les populations en général, et les décideurs politiques en particulier, ne soient plus soumis aux dispositifs d’influence les plus agressifs, et qu’ils ne soient exposés qu’à une pression communicationnelle raisonnable, respectueuse de leurs intégrité psychique et de leur temps d’attention quotidien ; qu’elle ait contribué à ce que les individus soient mieux à même d’établir une distance critique vis-à-vis de la communication persuasive ; qu’elle ait participé à ce que les médias puissent principalement mettre à disposition des peuples des contenus informationnels et culturels indépendants de stratégies d’influence extérieures ; qu’elle ait agit pour que les citoyennes et citoyens, réunis dans des mouvements et des associations, soit mieux outillés pour émettre des messages politiques dans le débat public, et qu’ils soient mieux accompagnés en cela par des médias devenus à la fois plus indépendants, et incités par les pouvoirs publics à offrir à la société civile des conditions appropriées de diffusion des discours citoyens.

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