Publicité, monde numérique et économie de l'attention

Pub & Numérique

En ligne, le modèle publicitaire consiste autant à diffuser des messages ciblés individuellement qu’à organiser une surveillance de masse pour monnayer les données personnelles.
La capture de l’attention par le design persuasif et l’accès permanent à un écran sont désormais des catalyseurs d’une économie prédatrice pour les capacités d'attention des individus.

Dans les médias traditionnels, des segments importants de la population sont appréhendés par les mesures d'audience, et les gens reçoivent de manière passive et relativement indifférenciée les publicités qui y sont diffusées.

Avec le développement du « Web 2.0 », la participation des internautes par leurs recherches, leurs commentaires, leurs « j'aime » (like) et leurs interactions en général jouent un rôle clé dans la création de valeur des grandes plateformes numériques. Cette capacité d'interaction avec l'internaute allait rapidement modifier en profondeur le marché de la publicité en ligne.

La publicité sur internet est désormais le premier secteur publicitaire devant la télévision en France et dans le monde.

La publicité en ligne a d'abord émergé avec deux nouveaux formats. La forme la plus classique de la publicité sur internet reste le « display  » - bannière, pop up, vidéo, etc - qui se place dans des espaces accompagnant les contenus éditoriaux. Mais suite au développement fulgurant des bloqueurs de pub (« adblock » en anglais), le marché est désormais porté par la croissance de la publicité native (« native advertising » en anglais). Totalement intégré aux contenus éditoriaux, ces messages des annonceurs ne sont pas plus reconnus par les bloqueurs de pub que par les lecteurs...

Une forme plus singulière de publicité née avec internet est celle des « liens sponsorisés » (« search » en anglais). L'émergence de ce marché est liée au rôle central pris, sur internet où l'information est surabondante, par les moteurs de recherche. Faire apparaître sa marque ou ses produits dans les premiers résultats de recherche est devenu une priorité pour les annonceurs, qui peuvent effectivement court-circuiter le référencement naturel par un système d'achat de mots-clés (« adwords » en anglais). Ce seul marché du search constitue désormais plus d'un cinquième de l'ensemble des dépenses publicitaires globales.

Qu'elle se fasse sur le mode display ou en search, la véritable disruption que constitue le marché de la publicité en ligne tient certainement moins à ses formes qu'à la capacité des annonceurs à cibler individuellement et instantanément leurs messages. Plus exactement, elle est liée à la connaissance précise que les annonceurs peuvent tirer du taux de rentabilité de l'achat d'espace en ligne, ce qui leur permet d'affiner ensuite les prédictions comportementales.

L'irruption d'un marché des données personnelles pour une publicité ciblée

Sur le « web 2.0 », les internautes sont actifs : ils recherchent, naviguent et ont des interactions. Or des traqueurs en ligne et autres dispositifs de collecte des données, au premier rang desquels le fameux « cookie », ont rendu possible le suivi des parcours individuels des internautes. D'où l'émergence d'un véritable marché sur lequel des « courtiers des données » (« data brokers » en anglais) s'échangent et croisent ces informations, pour en inférer une connaissance socio-démographique des individus : leurs achats, mais aussi leur santé, leurs activités de divertissement, leurs situations conjugales, leurs orientations sexuelles et politiques, etc. L'entreprise Oracle peut actuellement fournir plus de 30 000 attributs personnels pour chacun des plus de 2 milliards de consommateurs qu'elle surveille.1

Les « data brokers » s'échangent et croisent les données personnelles collectées pour en inférer une connaissance socio-démographique des individus : leurs achats, mais aussi leur santé, leurs activités de divertissement, leurs situations conjugales, leurs orientations sexuelles et politiques, etc.

Pour le fonctionnement du marché de la publicité en ligne, il est nécessaire d'organiser la rencontre entre les multiples pourvoyeurs de potentiels espaces publicitaires (médias, blogs, sites internet d'entreprises et d'organisations, réseaux sociaux, etc.), les spécialistes du traitement des données qui peuvent valoriser les audiences de ces espaces, et les annonceurs qui veulent diffuser leurs messages aux « publics cibles ». Comme son nom anglais l'indique, le mécanisme du marché « real-time bidding » (RTB) créé en 2009, qui est derrière la « publicité programmatique », permet aux opérateurs d'attribuer en temps réel le message d'un annonceur à un espace publicitaire crée par un individu surfant sur internet. Autrement dit, dans les quelques 100 millisecondes qui suivent l'ouverture d'une page par un internaute, les annonceurs obtiennent, par un jeu d'algorithmes, toutes les informations pertinentes sur l'individu, et peuvent cibler leur publicité en conséquence. Cette publicité ciblée devient alors le moteur d'une généralisation de la surveillance en ligne. Avant le déclenchement de la crise du Covid, le marché mondial du « big data and business analytics  » devait dépasser les 200 milliards d'euros.

1. Wolfie CHRISTL, Corporate Surveillance in Everyday Life, Cracked Labs, Institute for critical digital culture, juin 2017. Lien : https://crackedlabs.org/dl/CrackedLabs_Christl_CorporateSurveillance.pdf.Infographics : https://crackedlabs.org/en/corporate-surveillance/infographics

Pour un numérique d'intérêt général

À quelles conditions le numérique peut-il servir l’intérêt général ? Ce texte propose un ensemble de critères constituant un cadre de référence (framework) nommé NIG, proposé dans sa version 1.0.

NIG

Pourquoi il faut quitter Twitter

Le rachat par Elon Musk du réseau social Twitter fait grand bruit. Réputé pour ses positions « radicales » en faveur de la liberté d’expression, le milliardaire libertarien fait craindre la fin de la…

Du capitalisme de surveillance à l'économie de l'attention

Shoshana Zuboff, professeur émérite à la Harvard Business School et référence mondiale sur le sujet, évoque un « processus qui transforme nos comportements présents en prédictions monnayées de nos comportements futurs » qu'elle qualifie de « capitalisme de surveillance ».2 Emmenés par Google et Facebook qui disposent à la fois d'un très grand nombre de données et de capacités avancées dans l' analyse statistique, les géants du numérique tirent la croissance de la planète. Avec leur puissant narratif de la « révolution numérique », ils poussent activement la reconfiguration de tous les environnements technologiques et programmatiques dans lesquels évolue l'individu : travail, information, politique, loisirs, amitiés, amours...

De fait, ils organisent la « numérisation du monde », l'établissement d'un lien continu entre les individus et le monde connecté, afin d'augmenter les opportunités de collecte de données et de diffusion publicitaire. Les espaces déconnectés disparaissent, les écrans de téléphones mobiles sont désormais accessibles en permanence dans nos poches, et leurs interfaces et celles des applications sont pensées en termes de design persuasif.

Cette dynamique s'appuie notamment sur les recherches en « captologie », science au croisement de l'économie, des neurosciences et de la psychologie, inventée à Stanford au cœur de la Silicon Valley, pour aiguiser les facultés des entreprises numériques dans la compétition pour l'attention. Comme en publicité, il s'agit de l'étude des biais cognitifs, en lien avec le système de la récompense aléatoire que l'on retrouve dans les jeux de hasard. C'est notamment le cas du fameux modèle Hooked, qui est à la base de nombre de fonctionnalités présentes dans les interfaces que des masses de populations utilisent au quotidien, des « matchs Tinder  » aux « loots Fortnite » en passant par les « notifications Facebook ».

2. Sébastien BROCA, « Surveiller et prédire », La Vie des Idées, article publié le 7 mars 2019. Lien: https://laviedesidees.fr/Surveiller-etpredire.html - lien externe

Tendanciellement, les individus se connectent plus souvent et plus longtemps :on s'approcherait des 8h par jour désormais en France, en exposition cumulée par les différents supports

Le phénomène de dépendance aux écrans et à certaines plateformes numériques en particulier (réseaux sociaux, jeux vidéos, etc.) est ainsi façonné par des stratégies sophistiquées de captation de l'attention. Et tendanciellement, les individus se connectent plus souvent et plus longtemps :on s'approcherait des 8h par jour désormais en France, en exposition cumulée par les différents supports.3

Le contact permanent avec les écrans a des conséquences sanitaires que l'on commence à mieux comprendre, en particulier sur les enfants sur lesquels on observe des effets néfastes sur les facultés cognitives et sur le temps de sommeil. Mais les conséquences de la capture de l'attention à l'échelle industrielle - une attention devenue ressource rare et monnayable - sont aussi d'ordre social et politique. Elles contribuent à la réduction du temps disponible dans une société de l' « accélération et de l'aliénation » telle qu'exposée par le philosophe Hartmut Rosa.

3. Rapport Big Corpo (version complète), Spim, mai 2020. pg87. Lien vers le rapport: https://sp-im.org/wp-content/uploads/2020/06/Rapport-Spim-complet_220pg_mai2020.pdf

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