Shoshana Zuboff, professeur émérite à la Harvard Business School et référence mondiale sur le sujet, évoque un « processus qui transforme nos comportements présents en prédictions monnayées de nos comportements futurs » qu'elle qualifie de « capitalisme de surveillance ».2 Emmenés par Google et Facebook qui disposent à la fois d'un très grand nombre de données et de capacités avancées dans l' analyse statistique, les géants du numérique tirent la croissance de la planète. Avec leur puissant narratif de la « révolution numérique », ils poussent activement la reconfiguration de tous les environnements technologiques et programmatiques dans lesquels évolue l'individu : travail, information, politique, loisirs, amitiés, amours...
De fait, ils organisent la « numérisation du monde », l'établissement d'un lien continu entre les individus et le monde connecté, afin d'augmenter les opportunités de collecte de données et de diffusion publicitaire. Les espaces déconnectés disparaissent, les écrans de téléphones mobiles sont désormais accessibles en permanence dans nos poches, et leurs interfaces et celles des applications sont pensées en termes de design persuasif.
Cette dynamique s'appuie notamment sur les recherches en « captologie », science au croisement de l'économie, des neurosciences et de la psychologie, inventée à Stanford au cœur de la Silicon Valley, pour aiguiser les facultés des entreprises numériques dans la compétition pour l'attention. Comme en publicité, il s'agit de l'étude des biais cognitifs, en lien avec le système de la récompense aléatoire que l'on retrouve dans les jeux de hasard. C'est notamment le cas du fameux modèle Hooked, qui est à la base de nombre de fonctionnalités présentes dans les interfaces que des masses de populations utilisent au quotidien, des « matchs Tinder » aux « loots Fortnite » en passant par les « notifications Facebook ».